Aujourd’hui, nous faisons la rencontre de Christophe Badier, meneur de chiens de traîneau depuis 30 ans.
Bonjour Christophe Badier et merci de m’accorder cette interview ! Pour commencer, comment avez-vous atterri dans le monde des chiens de traîneau ?
J’ai obtenu mon premier chien nordique en 1990. À l’époque le milieu du chien de traîneau (mushing) n’était pas très réputé. À partir de 1995, la meute s’est agrandie et j’ai commencé à me rapprocher du milieu.
Au début des années 2000, j’ai participé à plusieurs évènements de mushers (meneurs de chiens de traîneau) sur les plages du nord de la France, notamment à Fort-Mahon-Plage et en Bretagne. C’étaient de gros évènements pour l’époque, il y avait environ 200 mushers par rassemblement. Les gens se retrouvaient pour faire des petites compétitions, des sprints et des randos en karts tirés par leurs chiens.
J’ai fait quelques courses, mais ce qui m’intéressait le plus c’était de faire des randonnées de 20 à 25 km. J’ai continué les randos et les activités sportives avec mes chiens aux alentours de 2005.
Puis en 2009, j’ai décidé de passer mon DEJEPS (Diplôme d’État Jeunesse, Éducation Populaire et Sport) mention « attelage canin ». Ce diplôme m’a permis de devenir officiellement éducateur canin et musher pro. J’ai enfin pu lancer mon activité de chiens de traîneau pour proposer aux gens de découvrir cet univers.
J’habite maintenant en Charente à Angoulême où j’organise des randonnées en cani-kart. C’est comme du chien de traîneau, mais sur la terre. On se déplace donc sur des roues. En hiver, je me rends à Vassieux-en-Vercors, et c’est là que je réalise la plus grosse partie de mon activité : le traîneau à neige.
Combien de chiens avez-vous aujourd’hui et comment élève-t-on un chien nordique ?
Aujourd’hui j’ai 25 chiens. Les races de chiens nordiques sont essentiellement des Alaskan Huskies et des Huskies de Sibérie. Ce sont les races les plus communes dans le milieu.
Il faut savoir qu’un chien nordique ne se comporte pas comme tous les chiens domestiques. Le chien nordique est un chien de trait, et ce qu’il préfère : c’est se dépenser. Il est fait pour ça. Créer une relation de confiance avec un husky, ça demande d’être à son niveau. Et pour ça, il faut courir avec lui. Ce qui n’est pas facile tous les jours, car le husky est une machine !
Quand ma meute a commencé à se développer, j’ai fait beaucoup d’activité physique avec mes chiens, comme du VTT. Le plus impressionnant chez ces animaux, c’est que rien ne les arrête. Il est très difficile pour eux d’atteindre leurs limites. Lorsqu’ils tirent un traîneau sur la neige ou un kart sur la terre, on a l’impression qu’ils pourraient faire ça toute la journée… Et c’est le cas !
25 chiens, c’est suffisant pour vous ?
Oui, c’est suffisant. Lorsque j’organise une balade en chiens de traîneaux, j’attelle 21 ou 22 de mes chiens aux traîneaux. Les 3 ou 4 qui restent nous attendent au camion.
Chez les mushers, on dit généralement que 30 voire 35 chiens, c’est le grand maximum à gérer pour une seule personne. Il faut rester raisonnable vis-à-vis de ses propres capacités. Avoir un chien, ça nécessite beaucoup d’attention et de responsabilité. Alors en avoir 30…
Il faut toujours penser à eux et anticiper le moindre problème. La nourriture, les vaccins, les vermifuges, tout ça coûte de l’argent et demande beaucoup de temps.
Comment on organise une randonnée en chiens de traîneaux ?
Les randonnées exigent beaucoup de préparation. On accueille déjà les futurs randonneurs avec une petite formation théorique sur les races de chiens, le déroulement de l’activité et sur la conduite de chiens de traîneaux. On leur apprend ensuite à atteler les chiens. Cela leur permet de créer une complicité avec les animaux.
Cette partie me demande beaucoup de travail car il faut organiser les attelages en fonction des personnes présentes, mais aussi en fonction des chiens. En général, les attelages des apprentis sont composés de 4 chiens. Il faut que ces chiens soient de puissance et de vitesse à peu près égales pour qu’ils puissent tirer le traîneau convenablement. Mon traîneau à moi est généralement composé de 5 ou 6 chiens.
Ensuite, il faut déterminer la position des attelages pendant la randonnée. Le traîneau du musher se trouve toujours devant. Derrière lui, on met les attelages les plus lents. Et, encore derrière, les attelages les plus puissants. Comme ça, les chiens les plus lents suivent le musher pro à leur rythme, et personne ne se fatigue.
Le nombre de chiens sur un attelage peut varier en fonction du gabarit de la personne qui conduit, de la météo et du terrain. L’attelage du musher pro ne change quasiment pas car il faut des chiens disciplinés pour prendre la tête du cortège.
Selon vous, quelle est la meilleure partie d’une randonnée en chiens de traîneaux ?
Ce que je préfère, c’est partager ma passion avec les gens. Que ce soit lors d’une conversation, ou d’une simple balade avec les chiens.
Même si mon activité de cani-kart en Charente est ouverte pendant une majeure partie de l’année, je préfère faire des randonnées sur la neige dans le Vercors.
« La station de ski de Vassieux-en-Vercors est réputée dans le milieu pour être le plus grand spot de randonnée en chiens de traîneaux de France. »
Elle offre énormément de terrains différents, des morceaux de pistes damées, des sentiers en forêts, des plaines, etc.
Les terrains que je préfère lors des randonnées sont aussi ceux qui demandent une bonne condition physique. Même si les chiens sont plus que capables de tirer un traîneau sur une grande montée, ils restent des êtres vivants et il faut parfois les aider. C’est pourquoi les balades à travers les sentiers sont assez sportives.
J’ai reçu des habitués du chien de traîneau au Canada et dans les pays scandinaves qui étaient impressionnés par la difficulté de certaines branches du parcours. Mais dans l’ensemble, j’adapte toujours le circuit au niveau du groupe. Les balades sur les magnifiques plaines enneigées de la région sont tout aussi intéressantes pour les non-initiés.
Comment imaginez-vous votre futur ?
J’espère pouvoir continuer encore longtemps mon activité. Aujourd’hui, ma meute en est à sa 3e génération, et je sais que mes chiens actuels ont encore 10 belles années devant eux.
Mais je sais aussi que l’avenir climatique est incertain. Les stations de ski en basse altitude souffrent des hivers de plus en plus courts. Dans le milieu du mushing français, il n’est pas rare de voir les activités se délocaliser dans les pays scandinaves ou au Canada. Là-bas, les conditions sont idéales et les prix attirent beaucoup de touristes. C’est un futur que j’envisage de plus en plus, mais peut-être que la barrière de la langue me retiendra encore ici pendant un moment.
Merci beaucoup Christophe Badier pour toutes ces réponses, je vous souhaite une excellente continuation. Et passez le bonjour à vos chiens de ma part !