A 34 ans, Stéphane Ricard vient de remporter son troisième championnat du monde de course en raquettes à neige. Rencontre avec un champion extraordinaire qui a su malgré tout rester simple…
Bonjour Stéphane, et encore merci de nous accorder un peu de votre temps, vous devez être fatigué après votre compétition en Espagne. Vous pouvez nous parler un peu de cette course ?
C’est une course de 8.5 km avec 500 m de dénivelé positif. Ça n’a l’air de rien, mais en raquettes, ça fait beaucoup. J’ai bouclé le parcours en 46 minutes et 32 secondes.
Racontez-nous ce qui s’est passé. Quelle a été votre stratégie ?
Tout d’abord, il faut partir assez vite pour limiter la casse du matériel. Si on part trop lentement, on se fait marcher dessus et les raquettes ne tiennent pas.
Le parcours avait beaucoup de montées et descentes, et j’adore ça. Il avait neigé 10 cm la veille de la course, ce qui m’a également avantagé, car les autres concurrents sont plus rapides que moi sur la route en temps normal.
On était un groupe de 4-5 et j’ai fait la différence dans une descente très raide. Je me suis dit que la ligne d’arrivée était à la fin de la première boucle (Ndlr : le parcours était constitué de 2 boucles). Mais quand Joseph Gray (dont le record est de 28’40 sur 10 km sur route) est revenu de l’arrière à 2-3 km de l’arrivée, j’ai pensé que ça allait être compliqué. J’ai temporisé, puis j’ai réaccéléré quand il est revenu à 20 secondes. Je pense que ça lui a mis un coup moralement, et au final j’ai passé la ligne d’arrivée en premier.
Et pourtant, il y a eu quelques mésaventures la veille d’après ce que j’ai compris…
Le voyage a été folklorique ! Je suis parti de chez moi jeudi à 6h du matin et je suis arrivé sur le lieu de la compétition en Espagne le vendredi à 16h. Premier problème : il a neigé 60 cm dans les Hautes-Alpes, ce qui a compliqué mon trajet sur la route. Ensuite, le vol Marseille – Madrid a eu du retard. Ceux qui devaient nous rejoindre ont loupé leur avion. On a dormi à Santander alors que ce n’était pas prévu. Mais finalement, ça n’a pas été si négatif, car ça m’a permis de penser à autre chose.
Revenons à votre parcours. Comment avez-vous découvert la course en raquettes ?
Au début, c’était pour casser la routine de la course à pied, et pour m’entraîner aussi l’hiver. Ce sport développe la puissance musculaire. Les raquettes alourdissent chaque pied de 320 g : on s’envole quand on les enlève !
Et puis, grâce à elles, j’ai pu aller dans des endroits où on ne peut pas aller en baskets, et m’immiscer au milieu de la faune.
Comment vous préparez-vous physiquement et mentalement pour les compétitions ?
L’entraînement physique ressemble à celui du cross-country. C’est de la course à pied qui allie vitesse et puissance musculaire avec un mélange de trail, de cross, et de ski de rando. Et puis souvent, on s’entraîne avec plusieurs autres athlètes. Je pars du principe que ce qui n’est pas partagé est perdu.
J’aime bien tout ce qui est préparation mentale. Pour que ce soit bénéfique, il ne faut pas le faire juste avant la course mais pratiquer tout le temps. Je travaille sur le moment présent, je me recentre sur moi, sur ma respiration. C’est une forme de méditation de faire du sport.
Au final, gagner ou perdre, ça ne veut rien dire. Ce qui est important, c’est de vivre des émotions. La compétition, c’est bien, mais c’est un bonheur qui n’est pas durable.
Vous êtes non seulement athlète de haut niveau mais aussi professeur des écoles. Initiez-vous vos élèves aux raquettes à neige ?
J’adore transmettre les apprentissages avec le sport car cela donne du sens. Avec les raquettes, c’est compliqué, car cela nécessite un guide, et des autorisations pour sortir de l’école.
Quelles sont les réactions des enfants ? Sont-ils impressionnés par le fait que vous soyez un champion ? Est-ce que ça aide pour la pédagogie ?
J’ai eu la chance d’être filmé par plusieurs télévisions dans ma classe. C’est un bon exercice de langage oral pour mes élèves, et toujours un super souvenir. Je ne sais pas s’ils sont impressionnés par mon statut de champion, mais ça donne une crédibilité. Si ça peut les aider à mieux apprendre, tant mieux.
Y a-t-il une fédération pour votre sport en France ? Comment débuter si on veut pratiquer à haut niveau ?
La fédération qui s’occupe officiellement de la course en raquettes à neige est la FFME (Fédération Française de la Montagne et de l’Escalade). Pour l’instant, ils ne font pas grand-chose pour la raquette, mais il est possible d’aller dans un club.
Votre sport a-t-il une chance un jour de devenir olympique ?
Il y a eu une démonstration aux JO de Vancouver en 2010. Les championnats du monde ont été créés en 2011, c’est une discipline toute récente. Et il y a de moins en moins de sports qui rejoignent les JO, donc c’est compliqué.
Le CIO était intéressé par la course en raquettes parce que ça ressemble au cross-country et qu’il pensait que ce serait une façon d’ intégrer le continent africain aux JO d’hiver. Leur idée était de nous faire courir sur une piste de ski de fond, mais ça casserait un peu la discipline, parce qu’à la base, c’est un sport de trappeur fait pour aller là où on ne peut pas aller en baskets. Bref, l’intégration aux JO est politique, et pour l’instant, on est loin du compte.
Y a-t-il eu des moments difficiles dans votre parcours d’athlète de haut niveau ? Comment les avez-vous surmontés ?
En 2013, j’ai fait ma plus belle année : j’ai battu le record du monde sur 10 km, j’ai été vice-champion du monde en Italie, j’ai gagné la 6000D et le Trail Ubaye Salomon. Mais les années suivantes, en 2014 et 2015, il y a eu un contrecoup : j’ai été très fatigué. Heureusement, j’en ai pris conscience et je fais désormais plus attention.
Je suis à l’écoute de mon corps, et j’utilise des techniques pour mieux récupérer : la cryothérapie, la cupping therapy (ventouses médicales), une alimentation sans gluten quand je peux, l’inhalation d’huiles essentielles de pins sylvestres. J’ai même fait une semaine de jeûne en novembre dernier pour désacidifier mon corps. Globalement, je suis adepte des médecines naturelles parallèles.
Quel est votre plus beau souvenir en raquettes ?
C’est cette année. Joe Gray est une pointure dans le milieu de la course à pied. Battre ce mec-là, c’est vraiment très fort pour moi.
Quels sont vos projets ?
Je vais me reposer un peu pour faire le bilan de la saison d’hiver. Après, j’enchaînerai sur la saison d’été pour le trail avec les championnats de France à Montgenèvre et peut-être la TDS (« Sur les Traces des Ducs de Savoie »), l’une des courses de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc.
Merci beaucoup Stéphane, c’était vraiment très gentil de nous répondre avec autant de modestie. Je ne sais pas vous mais moi ça m’a donné envie de me balader dans la neige en raquettes !